Julien Dossier « On ne sait pas comment les villes vont réagir aux changements climatiques »

Dans le cadre de notre deuxième magazine ForHum, nous avons rencontré Julien Dossier, fondateur de Quattrolibri et expert en neutralité carbone.

Julien Dossier fait partie de ceux qui nous rappellent qu’il reste 372 mois avant d’arriver en 2050. 372 mois pour atteindre la neutralité carbone et minimiser les impacts du changement climatique. Dans son dernier ouvrage « la renaissance écologique », il dessine un nouvel imaginaire pour la société de demain et les grands chantiers à mener pour y arriver. Inspiré du passé et ancré dans son temps, Julien Dossier cherche à susciter un nouveau désir de futur. Un regard prospectif, lucide et expert qui s’adresse à tous pour transformer ces grands défis en formidables opportunités.

ForHum : En introduction, qu’est-ce que vous mettez derrière l’expression « bas carbone ».
Expression très utilisée en ce moment… 

Julien Dossier : Le terme « bas carbone » ne veut rien dire. En fait, je pense qu’on doit aujourd’hui préférer le terme « Neutre en Carbone » qui est un objectif qui découle de la COP 21. C’est le strict minimum qu’on doit atteindre en 2050. Moi je me réfère à la trajectoire P1 du rapport du GIEC sur le réchauffement de plus 1,5° d’octobre 2018 qui accepte de la séquestration carbone après avoir fait un immense effort d’atténuation et qui se tient à des technologies de séquestration biologiques (forêt, agriculture, sol).  

L’occupation des sols devient donc un enjeu majeur. Pourtant en parallèle, les villes tendent à se développer avec la population qui augmente… 

La population va augmenter et il y aura des mouvements de population. Des zones vont se vider et d’autres se remplir. Par exemple, on ne sait pas comment les villes vont réagir aux changements climatiques. À Paris, l’effet d’îlot de chaleur urbain, c’est + 6° par rapport à la grande couronne. On peut imaginer que, demain, La Riviera devienne invivable pour les personnes âgées avec des mouvements du Sud vers le Nord et l’Ouest. On observe également un désir grandissant de nature dans les villes. Ce qui peut amener les urbains à se dire que la ville telle qu’elle est aujourd’hui n’est pas la solution pour demain et les pousser vers les couronnes maraîchères ou les petites villes. On n’aura pas donc forcément un entassement des personnes en ville. 

Comment les villes se préparent à ces changements ?

Certaines villes comme Paris ont adopté une trajectoire de neutralité carbone. Quand elles prennent ce type d’engagements, elles ont forcément besoin d’éco-ressources en circuits courts. Pour l’alimentation, pour l’énergie, pour les matériaux, etc. Elles vont avoir besoin de créer des activités économiques en périphérie pour nourrir leur métabolisme décarboné. On a devant nous un schéma de proximité qui redonne notamment son attractivité à des petites villes qui vont mettre en avant la convivialité, la proximité, le bien-être. On sent déjà ça apparaître aujourd’hui, par exemple, dans les enquêtes sur le désir des franciliens de quitter l’Ile-de-France. La grosse métropole produit du mal être. Elle est dans une impasse.  

Dans cette perspective, comment voyez-vous l’organisation du système de production demain ?

Je vois une production de proximité avec l’objectif de maximiser les éco-ressources du territoire avec des connexions et des échanges pour compléter les besoins. On a besoin d’adapter notre tissu industriel. Prenons l’exemple des voitures. On en a aujourd’hui 40 millions. Elles sont toutes obsolètes. On va avoir besoin de transformer notre parc. Qu’est-ce qu’on fait ? Si on les met à la casse, ce serait une destruction de ressources considérables. On peut réutiliser une grande partie des composants. C’est ça pour moi l’usine de demain, c’est la capacité à transformer des ressources près de chez nous. On dit que les villes sont les mines de demain. Aujourd’hui la troisième réserve en or ce sont les poubelles du Japon !!

À quels enjeux selon vous doivent faire face les secteurs du bâtiment et de la construction ?

Il faut aller vers une recherche d’efficacité énergie – carbone – ressources du début à la fin du processus. Aujourd’hui, la prise en compte des ressources est quasi absente. Il faut prendre en compte l’ensemble du chantier. Par exemple, si je construis loin des flux existants, ça va demander un besoin de mobilité supplémentaire, et donc plus d’énergie. Il faut aller vers plus de sobriété. En se posant d’abord la question de l’ampleur de la transformation d’un bâtiment, puis la question du réemploi et ensuite la question des nouveaux matériaux. Faire entrer des logements dans une usine, ça implique beaucoup de changements… Par ailleurs, on doit aujourd’hui démonter et non plus détruire pour maximiser le réemploi des matériaux. C’est un exercice complétement différent pour la construction qui part aujourd’hui du principe qu’on a une surface plane disponible. Il faut partir de l’existant en se demandant comment l’adapter. 

Vous parlez beaucoup de matériaux biosourcés comme le bois pour la construction, quid des autres matériaux comme le béton par exemple ?

Avant tout, la question des matériaux neufs doit se poser après avoir étudié la possibilité du réemploi. Le ciment Hoffmann présente de nombreux avantages notamment en ne faisant pas de montée en température. Mais si on porte un regard global sur le béton en regardant le triptyque énergie – carbone – ressources, la grande problématique du béton est le besoin en sable qui n’est pas une ressource inépuisable. Le bois aussi doit faire face à des enjeux majeurs. Le bois aujourd’hui en version CLT ne peut pas être la solution. Ce type de bois est issu de résineux. Ces résineux sont synonymes de coupes rases qui détruisent l’habitat de la biodiversité et impactent fortement les sols. Le passage des machines retourne le sol et libère le carbone ancien contenu dans l’humus. Un centimètre d’humus, c’est 100 ans. Il faudrait aller vers des forêts en couvert végétal continue. Il faut résonner en termes de séquestration dans les sols. La séquestration dans les arbres, c’est très temporaire. On est encore dans la découverte de l’approvisionnement biosourcé. 

Quel impact alors pour la fabrique de la ville ?   

Chaque année, on ne construit que 3% du stock de bâtiments. Un rythme incompatible avec les objectifs de réduction des émissions. On devrait aujourd’hui avoir autant de promoteurs de rénovation immobilière que de promoteurs de construction immobilière. Il y a un métier à inventer. Il faut également avoir un résonnement plus humble sur la transformation des villes en se demandant comment on prolonge la durée de vie de ce qui existe. Par exemple, le siège du Conseil de l’Europe à Bruxelles a une façade en fenêtres de réemploi. Mais on en est encore à l’échelle embryonnaire. C’est possible mais le chantier est énorme. 

Comment peut se mettre en place cette économie circulaire au niveau industriel ?

On a plusieurs échelles à avoir en tête. Un premier niveau où on a besoin de plateformes d’écologie industrielle à grande échelle, comme PIICTO sur le port de Marseille qui met en synergie les industriels. Un second niveau à l’échelle d’un territoire sur lequel on va optimiser les flux de matériaux avec par exemple des zones tampons pour stocker des matériaux prélevés sur un site et qui pourront servir à un autre. Mais aujourd’hui, un matériau qui quitte un chantier devient un déchet. Il va falloir faire évoluer la norme et les pratiques. L’échelle 3, c’est l’échelle des artisans avec les petits flux à l’échelle d’une maison. Là, on a besoin de ressourceries locales. 

D’après vous, quel acteur viendra porter ces changements ?

La prescription est en train d’arriver par les financeurs et ceux qui détiennent le foncier. Les financiers intègrent de plus en plus le risque climatique dans leur calcul. Pour se financer, les acteurs de la construction vont devoir répondre aux nouveaux critères financiers de plus en plus exigeants pour être compatibles avec le scénario de neutralité carbone à l’horizon 2050. De même, les assureurs qui prennent position sur des garanties décennales et l’assurabilité des constructions vont devoir encadrer beaucoup plus fortement les architectes, les promoteurs, les aménageurs. Un troisième acteur peut être la Loi avec un durcissement sur l’encadrement. On va faire un zéro artificialisation net, donc ça veut dire aménager là où c’est déjà bâti, et non plus là où on va bâtir. On voit aussi que les grands groupes se positionnent. Donc ça bouge. La question est de savoir à quelle vitesse ? 

Julien Dossier, fondateur de Quattrolibri, est expert en neutralité carbone. Il accompagne des acteurs pionniers de la transition écologique, a co-écrit la stratégie de neutralité carbone de Paris (Paris Change d’Ère), dirige le conseil scientifique d’excellence environnementale de la SOLIDEO (JO 2024) et enseigne la ville durable à HEC. Il a publié Renaissance Ecologique, 24 chantiers pour le monde de demain, chez Actes Sud.

Cette entrevue est issue des pages 30 & 31 de notre magazine ForHum, actuellement proposé en libre consultation sur notre site.